Sélectionner la langue

French

Down Icon

Sélectionnez un pays

France

Down Icon

La stupéfiante interview de Donald Trump à “The Atlantic”

La stupéfiante interview de Donald Trump à “The Atlantic”

Le 24 avril dernier, dans le Bureau ovale fraîchement rénové, Donald Trump a répondu à Jeffrey Goldberg, rédacteur en chef du magazine “The Atlantic”, et à deux journalistes seniors de ce prestigieux mensuel américain, bête noire du 47e président des États-Unis. Dans son style inimitable, Donald Trump se livre sur son retour au pouvoir, la guerre en Ukraine, ses ennemis politiques et le Canada, dont il souhaite toujours faire le 51e État de l’Union. Une interview-fleuve traduite en exclusivité par Courrier international.

[Cet article a été publié pour la première fois sur notre site le 4 mai 2025, et republié le 23 mai]

Jeudi 24 avril, j’ai rejoint à la Maison-Blanche deux de mes collègues, Ashley Parker et Michael Scherer, pour interviewer le président Donald Trump.

L’invitation de la Maison-Blanche avait été suivie d’un post du président sur Truth Social [le réseau social créé par Trump] dans lequel on lisait notamment : “Croyez-le ou non, mais je vais rencontrer aujourd’hui Jeffrey Goldberg, le rédacteur en chef de The Atlantic, celui qui a écrit tant de fictions sur moi.” Apparemment, ce qui n’était pas totalement fictif aux yeux du président, c’était le scandale du Signalgate, avec lequel il disait avoir eu “plutôt plus de ‘succès’”.

[Le jour dit], c’est un président amical et de belle humeur que nous trouvons dans un Bureau ovale redécoré dans un style que je qualifierais de “casino kitsch façon Louis XIV”. Si elles n’étaient pas pardonnées, nos innombrables transgressions étaient en tout cas mises sous le tapis.

Vous allez trouver ici de larges extraits de notre conversation, condensés et remaniés pour plus de clarté. Notre principal objectif était d’amener le président à analyser son come-back politique historique et à s’expliquer sur sa nouvelle manière d’exercer le pouvoir – notamment pour savoir s’il voit des limites à ce qu’un président peut faire. Quant à Trump, son objectif premier était semble-t-il de nous convaincre qu’il avait mis sa présidence au service de la nation et de l’humanité tout entière (son second objectif était de nous demander si nous pensions qu’il devait faire poser un lustre dans le Bureau ovale – un sujet sur lequel The Atlantic se garde bien de prendre position). Il a dit des choses fort intéressantes sur l’Ukraine, les droits de douane, et la place de la vendetta dans ce second mandat. J’ai trouvé notre rencontre à la fois fascinante et éclairante.

Vu d’une table dans le Bureau ovale, lors de la rencontre entre le président américain Donald Trump et le Premier ministre du Royaume-Uni Keir Starmer, le 27 février 2025.
Vu d’une table dans le Bureau ovale, lors de la rencontre entre le président américain Donald Trump et le Premier ministre du Royaume-Uni Keir Starmer, le 27 février 2025. Photo Doug Mills/The New York Times

Donald Trump : Ça promet d’être très, très intéressant. Vous pensez que Biden l’aurait fait ? Moi, je ne crois pas. Comment allez-vous, tous ?

Ashley Parker : Bien, et vous-même ? Merci de nous recevoir.

Trump : Je vais bien. Merci beaucoup.

Jeffrey Goldberg : Nous sommes ravis d’être là. Et merci d’avoir annoncé l’interview sur Truth Social…

Ashley Parker : Merci pour votre discrétion !

Donald Trump : J’ai voulu vous mettre un petit coup de pression. Mais bon, en même temps, vous allez quintupler les ventes.

Jeffrey Goldberg : Croyez-moi, je comprends l’astuce marketing.

Donald Trump : C’est pour vous que je l’ai fait. Vous vous souvenez comment c’était ici, Jeffrey ? Voilà notre nouveau Bureau ovale – les gens l’adorent. Toutes ces peintures étaient dans les chambres fortes. On a des chambres fortes, en bas. Il y a quelque chose comme 4 000 tableaux, et j’en ai choisi quelques-uns de nos plus grands présidents.

Jeffrey Goldberg : Ça change vraiment beaucoup.

Donald Trump : Maintenant, le bureau ressemble à ce à quoi il est censé ressembler. Avant, ils ne s’en occupaient pas. Ils n’y mettaient pas de soin particulier.

Ashley Parker : Vous servez-vous de vos deniers personnels pour décorer le Bureau ovale ?

Donald Trump : Oui, c’est de ma poche. Vous voyez là-haut ? Tout ça, ça vient de Mar-a-Lago [la résidence de Donald Trump en Floride].

Ashley Parker : C’est vrai ?

Donald Trump : Oui.

Jeffrey Goldberg : Attendez, les dorures… ?

Donald Trump : Oui, les dorures. Tout ça, c’est de l’or 24 carats, parce qu’ils n’ont jamais inventé de peinture qui ait le même rendu que l’or. Ils n’ont jamais trouvé.

Michael Scherer : La rumeur selon laquelle vous allez refaire le plafond est-elle fondée ?

Donald Trump : Oui, je vais le faire refaire. Toute la question, c’est de savoir si je dois mettre un lustre. Un beau lustre en cristal, quelque chose de très cossu. Ça ferait bien, ici. Ça manque presque, mais bon, je ne suis pas sûr… On est surtout sur la Chine et la Russie.

Mais, vous savez, tout ça, c’est nouveau. Le George Washington était au sous-sol. La plupart de ces tableaux étaient dans les chambres fortes. Et c’est merveilleux. On vient de recevoir le secrétaire général de l’Otan, Mark Rutte. Et, juste avant vous, on était avec le Premier ministre norvégien. On a d’excellents rapports. Les gens n’en parlent pas tellement, mais ils veulent tous nous rencontrer. On essaie de mettre fin à l’hécatombe, vous savez, en Russie…

Jeffrey Goldberg : Oui, on aimerait justement aborder le sujet. Mais je voudrais d’abord vous remercier de nous recevoir. Je crois que le dialogue est toujours préférable au silence. On essaie de faire un article pour la une qui soit à la fois juste et équilibré.

Donald Trump : Je ne demande pas mieux. Juste et équilibré.

Jeffrey Goldberg : La question centrale de notre article est de savoir comment vous avez fait. Si on rembobine jusqu’aux mois de janvier et février 2021, personne n’aurait misé sur votre retour [à la Maison-Blanche]. Et puis, je voulais vous demander aussi ce que, d’après vous, je ne comprenais pas à votre présidence.

Donald Trump : Je pense vraiment que ce que je fais est bon pour le pays, pour les gens, pour l’humanité.

Comme je viens de vous le dire, je me suis entretenu avec le Premier ministre norvégien et, séparément, avec le patron de l’Otan. On a également reçu l’ancien chef de l’Otan il y a quelques minutes, Stoltenberg. Un type formidable ; tous les deux sont des types formidables. Et ils avaient une chose à me dire. Ils m’ont dit : “Si vous ne mettez pas un terme à cette guerre, elle ne se terminera jamais ; elle va s’éterniser, et il y aura des morts pendant encore des années.” Et, comme vous le savez, il y a – je disais 2 500 morts par semaine, mais on serait plus près des 5 000 morts par semaine, pour la plupart des soldats russes et ukrainiens. Et si on pouvait arrêter ça, ce serait formidable.

Jeffrey Goldberg : Mais, permettez-moi de vous poser la question, puisque je vois le portrait de Ronald Reagan accroché juste au-dessus de votre épaule… Depuis cent ans, les présidents américains semblent éprouver une compassion naturelle pour les petits pays persécutés ou opprimés par la Russie. Or vous ne donnez pas l’impression d’éprouver cette même compassion innée. Il n’y a pas eu que Ronald Reagan, d’ailleurs. Il y a eu aussi Jimmy Carter, Kennedy, etc. Pourquoi ne semblez-vous pas éprouver le même sentiment que tous les autres présidents américains à l’égard de ces pays persécutés et opprimés ?

Donald Trump : Je pense que je l’ai, cette compassion. Je pense que je suis en train de sauver ce pays. Je pense que ce pays va se faire écraser très bientôt. C’est une énorme machine de guerre. Regardons les choses en face. Sans moi… c’est moi qui leur ai donné les [lance-missiles antichars] Javelin, qui leur ont permis de détruire les chars. Vous savez, ça a été un moment charnière, quand les chars se sont embourbés. Je leur en ai donné vraiment beaucoup, des Javelin. C’est ce qui leur a permis de détruire tous ces chars qui s’étaient enlisés. Vous savez, c’était un moment important parce que si tous ces chars étaient passés, ils n’étaient qu’à 114 kilomètres de Kiev et ils allaient prendre la ville. C’était la fin de la guerre ; en vingt-quatre heures, c’était plié.

Et c’est une des raisons pour lesquelles ils ont pu continuer [de se battre]. En même temps, je pourrais aussi regretter qu’ils aient continué, vu que beaucoup de gens sont morts. Il y a eu beaucoup plus de morts dans cette guerre que ce qu’on dit. Et pas juste des militaires. Beaucoup de civils, aussi. Et, vous savez, il y a des tas de choses qui prouvent que j’ai été très bon, parce que je suis en train de sauver ce pays. Le Premier ministre norvégien – un type très respecté – a dit que si le président Trump ne s’impliquait pas, cette guerre ne finirait jamais. Je pense que je rends un très grand service à l’Ukraine. Je le pense vraiment.

Jeffrey Goldberg : Les Ukrainiens ne sont pas de cet avis.

Donald Trump : C’est surtout qu’on parle beaucoup de ceux qui ne sont pas de cet avis. C’est bien simple, la guerre en Ukraine n’aurait jamais eu lieu si j’avais été président. Elle n’aurait jamais eu lieu, et elle n’a pas eu lieu pendant les quatre ans [où j’étais président].

Les mains du président Donald Trump, lors d’une rencontre avec Micheal Martin, Taoiseach (Premier ministre) de l’Irlande, dans le Bureau ovale, à Washington DC, le 12 mars 2025.
Les mains du président Donald Trump, lors d’une rencontre avec Micheal Martin, Taoiseach (Premier ministre) de l’Irlande, dans le Bureau ovale, à Washington DC, le 12 mars 2025. Photo Doug Mills/The New York Times

Jeffrey Goldberg : Je voudrais vous poser une question sur ce que vous venez d’écrire dans un post sur Truth Social. Soit dit en passant, j’aime beaucoup le passage : “Croyez-le ou non, mais je m’apprête à recevoir Jeffrey Goldberg.”

Donald Trump : Oh, ça vous a plu ? Il fallait que je le fasse.

Jeffrey Goldberg : C’est bien vu.

Donald Trump : Il fallait que je m’explique. C’était ma manière de dire aux gens que j’ai de l’estime pour vous. Si j’ai fait ça, c’est parce que j’ai un certain respect [pour vous].

Jeffrey Goldberg : Vous avez écrit, après avoir parlé de “toutes [mes] fictions”, que j’avais eu “plutôt plus de ‘succès’” dans l’affaire du Signalgate [voir encadré]. Je n’ai pas bien saisi ce que vous vouliez dire…

Donald Trump : Je voulais simplement dire que ça a…

Jeffrey Goldberg : Êtes-vous en train de me dire qu’il y a vraiment eu un Signalgate ?

Donald Trump : Oui, il y en a eu un. Et j’allais dire autre chose, mais je n’ai pas eu le temps…

Jeffrey Goldberg : Combien de temps vous faut-il pour écrire ces messages ?

Donald Trump : Pas longtemps.

Jeffrey Goldberg : J’aurais pensé le contraire.

Donald Trump : Je vais très, très vite. Vous seriez surpris. Vous seriez impressionné. Et j’aime les écrire moi-même. Il m’arrive de les dicter, mais j’aime bien les écrire moi-même. Ce que je veux dire, c’est que ça a eu beaucoup d’écho. Vous avez été efficace, et ça a fait beaucoup de bruit.

Jeffrey Goldberg : Mais vous n’êtes pas en train de dire que ça a été efficace dans le sens où ça mettait le doigt sur un problème touchant à la sécurité nationale au sujet duquel il fallait faire quelque chose.

Donald Trump : Non, ce que je veux dire, c’est que ça a marché dans le sens où le grand public en a été informé.

Jeffrey Goldberg : Oh.

Donald Trump : Vous avez réussi à le faire savoir. Ça a fait beaucoup de bruit.

Jeffrey Goldberg : Mais en avez-vous tiré des enseignements politiques et en avez-vous parlé [au ministre de la Défense] Pete Hegseth et [au conseiller à la sécurité nationale] Mike Waltz ?

Donald Trump : Je crois qu’on a compris que ce n’était peut-être pas une très bonne idée d’utiliser Signal. Si vous voulez tout savoir, je vais dire clairement à ces gens de ne pas se servir de Signal, même si beaucoup l’utilisent. Personnellement, quelle que soit cette application, quel que soit son propriétaire, je ne veux pas l’utiliser.

Ashley Parker : Vous n’utilisez donc pas Signal vous-même ?

Donald Trump : Je ne m’en sers pas, non.

Ashley Parker : Vous avez dit beaucoup de bien de Pete Hegseth, qui a limogé trois de ses principaux conseillers ces dernières semaines, qui a remercié son chef de cabinet, qui a fait installer un studio de maquillage au Pentagone, qui a dévoilé deux plans d’attaque dans deux conversations sur Signal, dont une avec son épouse et son avocat personnel. Vous êtes-vous entretenu avec lui pour rectifier certaines choses ?

Donald Trump : Oui, je l’ai fait. Pete a traversé des moments difficiles. Je pense qu’il va se reprendre. Je crois que c’est quelqu’un d’intelligent. De talentueux. Il a beaucoup d’énergie. Il a beaucoup souffert de toute cette affaire. Mais j’ai eu une discussion avec lui, constructive, il fallait qu’on ait cette discussion.

Ashley Parker : Comment explique-t-il ce qui s’est passé ?

Donald Trump : Écoutez, on a un ministre de la Défense [Lloyd Austin, en poste sous Joe Biden de 2021 à 2025] qui a été porté disparu pendant une semaine [pour raisons de santé], sans que personne ait la moindre idée de l’endroit où il se trouvait. Vous vous rendez compte ? Et puis, que ça nous plaise ou non, l’Afghanistan a peut-être été le chapitre le plus embarrassant de l’histoire de notre pays. Je pense que c’était une énorme erreur. Je voulais en sortir. Mais j’aurais quand même gardé la base aérienne de Bagram. J’aurais gardé Bagram parce que c’est juste à côté de l’endroit où la Chine fabrique ses armes nucléaires. Mais voilà, on a eu un ministre de la Défense qui a fait ça [ordonner l’évacuation de la base et sa cession à l’armée afghane en 2021], ça a tourné au fiasco [les talibans ont finalement repris la base] et, vous savez, je pense qu’il a fait encore bien pire que ça.

Ashley Parker : Mais, pour l’instant, vous pensez maintenir Hegseth à son poste ?

Donald Trump : Oui, c’est quelqu’un de fiable.

Ashley Parker : Va-t-il rester plus longtemps que Mike Waltz ?

Donald Trump : Waltz fait du bon boulot. Il est ici. Il vient de quitter ce bureau. Il se débrouille bien. Il est passé par des moments difficiles, lui aussi. [Il a finalement été limogé le 1er mai.]

Michael Scherer : Voilà quelques semaines de ça, plusieurs membres du Conseil de sécurité nationale ont été démis de leurs fonctions. Des gens comme [la militante républicaine proche de Trump] Laura Loomer et d’autres vous ont fait part de leurs inquiétudes au sujet de certains membres du gouvernement. Les Américains doivent-ils s’attendre à d’autres changements dans la composition du gouvernement ?

Donald Trump : J’espère que non mais, vous savez, ça prend parfois un peu de temps d’apprendre à connaître les gens. On vous recommande des personnes. On va vous conseiller quelqu’un pour écrire [vos discours] et vous allez découvrir six mois plus tard qu’il a fait des choses qui ne vous vont pas, donc vous le laissez partir ou vous mettez les points sur les i. Et j’embauche, directement ou indirectement, 10 000 personnes. C’est beaucoup.

Vous savez, c’est dans ce bureau que tout commence. C’est un endroit assez incroyable. C’est amusant, j’ai les gens les plus importants du monde qui viennent me voir dans ce bureau. Ils ont eux-mêmes des bureaux magnifiques, ils ont beaucoup de pouvoir, de grandes entreprises ou de grands pays, et ils veulent tous voir à quoi ça ressemble, le Bureau ovale.

C’est un lieu hors norme. Et j’embauche dans les 10 000 personnes dans ce bureau. Directement ou indirectement, le secrétaire d’État et d’autres, des juges de la Cour suprême – trois –, jusqu’à des gens beaucoup plus bas dans la hiérarchie. Et, sur toutes ces embauches, vous allez vous rendre compte que vous avez commis une erreur.

Des partisans de Donald Trump au Palm Beach County Convention Center de West Palm Beach, en Floride, durant la nuit du 5 novembre 2024, durant laquelle le candidat républicain a de nouveau été élu à la présidence.
Des partisans de Donald Trump au Palm Beach County Convention Center de West Palm Beach, en Floride, durant la nuit du 5 novembre 2024, durant laquelle le candidat républicain a de nouveau été élu à la présidence. Photo (Haiyun Jiang/The New York Times)

Ashley Parker : Notre article revient sur un come-back impressionnant, mais il y a autre chose. On a l’impression que vous exercez le pouvoir différemment aujourd’hui. Mais ma question porte sur le mois de janvier 2021 : vous êtes en exil et vous luttez pour votre survie politique.

Donald Trump : Je ne vois pas les choses comme ça, mais je suppose que vous avez raison. Il pourrait y avoir du vrai là-dedans.

Ashley Parker : Quand est-ce que vous avez pris conscience que vous pouviez revenir, que vous pourriez redevenir président ?

Donald Trump : Je suis quelqu’un de très positif. Je me demandais si je voulais revenir ou non, mais je ne me suis jamais dit que je n’en étais pas capable.

On avait Ron DeSantis, qui était un candidat très prometteur. Les gens disaient : “Oh, il sera très bien.” Et, dans le camp démocrate, je suppose que certains étaient très prometteurs aussi. Enfin, peut-être. Personnellement, ce n’est pas ce que je pensais. Biden, à mon avis, a été un mauvais président. Il a laissé entrer dans le pays des millions et des millions de gens qui n’avaient rien à faire là. C’est un problème colossal.

Je me suis demandé si j’avais envie d’y aller, mais je savais que, si j’y allais, je gagnerais. Mais je n’ai jamais vu ça comme un retour. Beaucoup de gens parlent de retour. J’imagine que la plupart des gens y voient le plus grand come-back politique de l’histoire. Je pense d’ailleurs que c’est un honneur, mais, personnellement, je n’y vois pas un come-back. Je continue simplement à tracer mon sillon.

Michael Scherer : Quand j’ai été reçu dans le Bureau ovale [fin avril] avec le press pool [groupe restreint de journalistes qui couvrent l’actualité présidentielle], je vous ai posé une question sur l’intervention de l’IRS à Harvard [l’IRS, le fisc américain, prévoit d’annuler le statut d’exonération fiscale de cette université d’élite du Massachusetts] et vous avez parlé, avec une certaine fougue, des conservateurs qui étaient pris pour cible par l’IRS. Vous avez également pris un décret présidentiel à l’encontre [du patron de l’Agence de cybersécurité américaine] Chris Krebs, que vous accusez d’avoir enfreint le premier amendement, mais que vous punissez en fait pour sa position lors de l’élection de 2020 [Chris Krebs a refusé de reconnaître l’existence de fraudes massives en faveur de Joe Biden, une allégation de Donald Trump.]

Donald Trump : Bien.

Michael Scherer : Dans le pays, beaucoup redoutent une dérive autoritaire en vous voyant utiliser votre pouvoir exécutif pour vous en prendre à des personnes avec lesquelles vous n’êtes pas d’accord. Vous avez posté sur Truth Social, mais c’était peut-être une plaisanterie : “Celui qui sauve son pays n’enfreint aucune loi.” [Une citation de Napoléon Bonaparte.] Les Américains doivent-ils s’inquiéter d’un changement de nature de la présidence sous votre mandat ?

Donald Trump : Non. Écoutez, dans l’histoire, personne n’a été autant cloué au pilori que moi. Vous avez peut-être du mal à vous en rendre compte, parce que vous êtes dans le camp d’en face, mais personne n’a été plus pris pour cible que moi. J’ai mis du temps à en prendre conscience. On m’a dit, quand j’ai renvoyé [l’ancien directeur du FBI] James Comey, que c’était une énorme erreur de le limoger, que cette erreur reviendrait me hanter. Que le renvoyer, c’était comme jeter une pierre sur un nid de guêpes. [Trump reprochait à Comey sa gestion de l’enquête sur l’ingérence supposée de la Russie dans la présidentielle américaine de 2016.] Le FBI était dans tous ses états. Et c’est à ce moment-là qu’on a découvert le fameux message sur la “police d’assurance”. Vous vous en souvenez, de ce message ? “Ne vous en faites pas, il va se planter. Mais, si ce n’est pas le cas, on a une police d’assurance.” La police d’assurance, c’est ce qu’ils étaient en train de faire. [Selon des textes échangés par deux employés du FBI hostiles à Trump pendant la campagne présidentielle de 2016, l’enquête sur les liens supposés entre Trump et la Russie était considérée comme une “police d’assurance” en cas de victoire de Trump.]

Personne n’a jamais été cloué au pilori autant que moi. On a fait beaucoup de choses pendant le premier mandat. Vous savez, on m’a donné de très bonnes notes, en tout cas au centre et à droite. À droite, c’est certain. Mais j’ai été très bien noté. Et, vous savez, si vous regardez l’économie, quand le Covid est arrivé et que la Bourse est repartie derrière, elle était plus haute qu’avant la pandémie, ce qui relève de l’exploit, franchement.

Mais, la vérité, c’est qu’on m’espionnait. On a espionné la première campagne. Et, aujourd’hui, c’est prouvé – vous savez, beaucoup de ces choses ont été prouvées, toute cette chasse aux sorcières [fomentée par le procureur Robert] Mueller. Et, la conclusion de tout ça, c’est que je n’avais aucun lien avec la Russie.

Juste pour terminer : c’est un mandat qui est d’une tout autre envergure que le premier, même si j’ai accompli énormément de choses pendant le premier. Mais, la première fois, je me battais pour ma survie et pour diriger ce pays. Cette fois, je me bats pour aider mon pays et aider le monde. Vous savez, c’est une présidence très différente.

Jeffrey Goldberg : Supposons, pour les besoins de cet échange, que vous ayez raison sur toutes ces choses qui vous seraient arrivées. Vous êtes de retour aux affaires. Ne vaudrait-il pas mieux consacrer votre temps à la Chine et à d’autres questions importantes plutôt qu’à des vendettas personnelles contre des gens que vous accusez de vous avoir persécuté il y a quatre ou huit ans ?

Donald Trump : Vous avez deux catégories de gens. Ceux qui disent : “Vous venez de remporter une des plus belles élections de l’histoire de notre pays. Faites du bon boulot, honorez votre mandat et rendez sa grandeur à l’Amérique.” D’accord ? Et puis vous avez ceux qui vont vous dire : “Allez-y. Faites du bon boulot. Mais, en revanche, vous ne pouvez pas laisser ces gens-là s’en tirer comme ça.” Croyez-le ou non, mais je fais partie des premiers.

Jeffrey Goldberg : Je ne suis pas sûr de vous croire.

Donald Trump : Si, c’est vrai. Mais beaucoup de gens du gouvernement n’en font pas partie. Ils ont le sentiment que j’ai été vraiment très maltraité. Il y a des gens dans ce gouvernement qui aiment ou qui adorent Donald Trump et le programme Maga [Make America great again, “Rendre sa grandeur à l’Amérique”] et tout ce qui va avec. Je pense que le mouvement Maga est le mouvement politique le plus important de l’histoire de notre pays.

Jeffrey Goldberg : Plus important que la fondation du Parti républicain dans les années 1850 ?

Donald Trump : Non, non, non, mais c’est un mouvement important. Il n’y en a pas eu beaucoup, des comme ça. C’est un mouvement incroyable, et je pense qu’il y a beaucoup de gens qui me sont très fidèles. Il y a des gens qui n’aiment pas la façon dont j’ai été traité.

Jeffrey Goldberg : Ce que je n’arrive pas à comprendre, c’est que vous êtes un des personnages qui ont le mieux réussi dans l’histoire – vous avez gagné la présidence à deux reprises…

Donald Trump : Trois reprises.

Jeffrey Goldberg : C’est précisément la question que je voulais vous poser ! À ce stade de votre carrière, ne pensez-vous pas que vous pourriez reconnaître que vous avez perdu ? Personnellement, je ne pense pas que vous ayez gagné l’élection de 2020.

Donald Trump : Je ne vous le demande pas.

Jeffrey Goldberg : La plupart des gens ne pensent pas que vous ayez gagné l’élection de 2020. Ce qui nous ramène à la question : faut-il se venger ou aller de l’avant ?

Donald Trump : Écoutez, il serait facile pour moi d’esquiver et je pourrais vous laisser passer à autre chose. Mais je suis quelqu’un de foncièrement honnête. Je sais que l’élection était truquée. Biden n’a pas obtenu 80 millions de voix. Et il n’a pas fait mieux que Barack Hussein Obama sur le vote noir dans les swing states [États clés] – rien que dans les swing states, c’est intéressant. Et il y a plein d’autres choses encore. On a tellement d’informations, entre les 51 agents [des services de renseignement qui auraient dissimulé des preuves pour protéger Joe Biden] – c’était tellement malhonnête de leur part – et l’“ordinateur infernal” [l’ordinateur portable du fils de Joe Biden, Hunter, qui contiendrait des preuves des affaires louches de la famille Biden], des tas de choses différentes.

Donc, il serait plus facile de passer à un autre sujet. Mais je suis quelqu’un de foncièrement honnête, et je le crois du fond du cœur, en m’appuyant sur des faits – ce qui est plus important que mes convictions personnelles. Le pays sort de quatre années difficiles. Le pays a été très éprouvé. On a eu un président qui n’en avait clairement pas l’étoffe. Je viens de voir aujourd’hui quelques personnes très brillantes d’autres pays, j’en reçois régulièrement. Et je pense qu’une des choses dont je suis peut-être le plus fier, ce sont les relations internationales.

Jeffrey Goldberg : Je ne suis pas sûr que les Canadiens seraient d’accord.

Donald Trump : Parlons-en, des Canadiens. Voilà le problème que j’ai avec le Canada : on les subventionne à hauteur de 200 milliards de dollars [175 milliards d’euros] par an. Or on n’a pas besoin de leur essence ; on n’a pas besoin de leur pétrole ; on n’a pas besoin de leur bois. On n’a pas besoin de leur énergie, quelle qu’elle soit. En fait, on n’a besoin de rien de ce qu’ils ont. Ce que je dis, c’est qu’ils feraient un très bon 51e État. Il y a d’autres pays que j’aime beaucoup. J’aime beaucoup le Canada. J’y ai de très bons amis.

Vous savez, 95 % de leurs échanges commerciaux se font avec nous. N’oubliez pas que, s’ils deviennent un État américain, ils n’auront plus de droits de douane. Ils auront moins de taxes. Ils seront protégés militairement.

Jeffrey Goldberg : Vous voulez sérieusement que le Canada devienne un État américain ?

Donald Trump : Je pense que ce serait une très bonne chose.

Jeffrey Goldberg : Un gigantesque État… démocrate, donc.

Donald Trump : C’est ce que beaucoup de gens disent, mais, même si c’est le cas, ça me va.

Ashley Parker : La Trump Organization vend des casquettes “Trump 2028”. Avez-vous sollicité des avis juridiques sur la possibilité de vous présenter une troisième fois ?

Donald Trump : Non.

Ashley Parker : Je reviens à vous et à ce mandat. Vous avez fait voler en éclats tellement de règles, des règles de la démocratie…

Donald Trump : Ce serait une vraie transgression, pas vrai ?

Jeffrey Goldberg : Ce serait la plus fracassante de toutes.

Donald Trump : Eh bien, peut-être que j’essaie simplement de secouer le cocotier…

Les gens n’arrêtent pas de me crier, où que j’aille, “2028 !” Ils sont contents. Les gens sont ravis de cette présidence. J’ai eu de très bons sondages, à part ceux de Fox News. Fox ne me donne pas de bons sondages en général, mais là, même chez eux, j’ai de bons sondages. Fox est une honte à bien des égards à ce sujet. Mais, vous savez, j’ai écrit quelque chose aujourd’hui, j’ai dit : “Rupert Murdoch me dit depuis des années qu’il va se débarrasser de ses sondeurs”, mais il ne l’a jamais fait – ils ne m’ont jamais traité décemment, les gens de Fox. Mais j’ai de très bons sondages, même chez eux.

Ashley Parker : “Trump 2028”, ça ne fait pas partie des verrous que vous voulez faire sauter ?

Donald Trump : Eh bien, je vous dirai simplement ceci. Je n’ai pas vraiment envie de parler de ça mais, non, ce n’est pas quelque chose que j’envisage. Et je pense que ce serait d’ailleurs très difficile. Mais c’est ce qu’on me supplie de faire : “Non, non, il faut vous présenter.”

Une diffusion du discours aux deux Chambres du Congrès du président Donald Trump sur l’état de l’Union, le 4 mars 2025.
Une diffusion du discours aux deux Chambres du Congrès du président Donald Trump sur l’état de l’Union, le 4 mars 2025. photo Damon Winter/The New York Times

Michael Scherer : Vous avez évoqué la possibilité de transférer les criminels américains dans des prisons situées à l’étranger. Vous avez reproché aux tribunaux d’avoir exigé l’application des procédures légales concernant l’expulsion des immigrés sans papiers ici, aux États-Unis. Y a-t-il dans votre esprit des lignes rouges infranchissables ?

Donald Trump : Oui.

Michael Scherer : Les citoyens américains ont-ils des raisons de craindre que votre gouvernement ne respecte pas leurs droits à une procédure régulière ? Dans la Déclaration d’indépendance, on peut lire que nous ne voulons pas être soumis à une juridiction étrangère.

Donald Trump : Vous pouvez ouvrir ça ? Ouvrez-moi ça [il demande à Karoline Leavitt, l’attachée de presse de la Maison-Blanche, de tirer les rideaux bleus qui masquent un exemplaire de la Déclaration d’indépendance, installé dans le bureau de fraîche date].

Donald Trump : Comment vous trouvez Karoline ? Comment elle s’en sort ? Bien ? Elle fait du bon boulot ?

Michael Scherer : Donc, ma question était : où sont les limites ? Les citoyens américains ont-ils à craindre d’être envoyés dans des prisons étrangères ?

Donald Trump : J’ai effectivement dit ça.

Michael Scherer : Oui, et le problème que les tribunaux ont pointé du doigt est que les personnes accusées d’être ici en situation irrégulière seront expulsées hors de toute procédure légale. Ce qui pose la question suivante : en l’absence de procédure régulière, même une personne arrêtée à tort risquerait de se faire expulser…

Donald Trump : Eh bien, ces gens sont en situation irrégulière, pour commencer…

Michael Scherer : Oui, mais s’il y a une erreur ? Il peut arriver qu’on arrête la mauvaise personne, non ?

Donald Trump : Laissez-moi vous dire ceci. Rien ne sera jamais parfait en ce bas monde. Mais, si vous regardez bien : Clinton, Bush et tous les présidents avant moi – aucun n’a jamais été montré du doigt quand ils avaient des clandestins dans le pays ; ils les ont expulsés sans aucun mal et très efficacement. Nous, on nous est tombé dessus au sujet de ce membre du gang MS-13 qui vient – d’où il vient, déjà ?

Steven Cheung, directeur de la communication de la Maison-Blanche : Du Salvador.

Donald Trump : Bien, il venait donc du Salvador au départ. Je sais qu’il n’était pas de ce pays, il venait de loin, et il apparaît qu’il avait un casier. On en a fait le plus chic type du monde, un merveilleux père de famille. Puis ils sont tombés sur [un tatouage] MS-13 sur ses articulations [de la main], et ils ont vu des tas d’autres choses encore.

Ashley Parker : Mais qu’en est-il des Américains qui ne sont pas en situation irrégulière et qui ont commis un crime ? Leurs droits à une procédure régulière seront-ils garantis ?

Donald Trump : Si une personne est en situation régulière dans le pays ? Il y a une grande différence entre être en situation régulière et irrégulière. Ces gens-là sont en situation irrégulière, tous autant qu’ils sont. Ce sont donc 250 000 personnes qu’on aimerait expulser. Ce sont des brutes, des sauvages. Beaucoup ont été arrêtés, certains pour avoir frappé par surprise des femmes à la tête avec des battes de baseball ; certains pour avoir traîné une femme à moto et l’avoir envoyée contre un lampadaire, la laissant grièvement blessée. Si vous lisez les procès-verbaux, certains ont poussé des gens dans le métro juste avant que la rame n’arrive, ils se sont fait pousser devant la rame et ont été très gravement blessés ou sont morts, la plupart sont morts d’ailleurs.

Et je dis bien “si” sur la question des prisons étrangères. “Si c’est légal”, je dis bien “si c’est légal”. J’aimerais beaucoup que ça puisse se faire. Vous avez des gens qui sont condamnés 28 fois d’affilée, des gens qu’on remet en prison à chaque fois, qui en ressortent aussitôt et qui se remettent à frapper ou à blesser des gens, ou qui font quelque chose de très mal, et qui y retournent, et qui se retrouvent comme ça avec 28 condamnations différentes.

Si c’était légal – et personne ne m’a donné de réponse définitive à ce sujet – mais si ça l’était, ça ne me poserait aucun problème de les expulser dans une prison à l’étranger, ce qui nous coûterait d’ailleurs beaucoup moins cher.

Michael Scherer : En parlant de réponse définitive, diriez-vous que le pouvoir judiciaire est toujours sur un pied d’égalité avec le gouvernement, et vous conformerez-vous à la décision finale de la Cour suprême ?

Donald Trump : Oh, oui. C’est ce que j’ai toujours fait. Je m’y suis conformé. Je n’ai pas toujours été d’accord avec ses décisions, mais je m’y suis toujours conformé. C’est d’ailleurs ce qu’il faut faire. Cela étant dit, on a des juges qui sont très, très coriaces. Je pense qu’on pourrait avoir un dossier en béton armé, autrement dit une affaire imperdable, et qu’on pourrait se faire laminer. Certains de ces juges sont très partiaux.

Mais, Jeff, je dis bien “si c’est légal”. Je dis toujours ça en préambule, parce que je pense que ça permet de bien cadrer les choses.

Le président américain Donald Trump montre le décret sur les taxes douanières qu’il vient de signer, à la Maison Blanche, à Washington DC, le 2 avril 2025.
Le président américain Donald Trump montre le décret sur les taxes douanières qu’il vient de signer, à la Maison Blanche, à Washington DC, le 2 avril 2025. PHOTO Leah Millis/ REUTERS

Michael Scherer : À Wall Street, on parle d’un “Trump put” [“garantie Trump”], c’est-à-dire un seuil plancher en dessous duquel vous empêcherez le marché de descendre. C’est-à-dire que, si le pays prend le chemin d’une récession, vous adapterez votre politique commerciale. Si on se dirige vers une dédollarisation et que les taux d’intérêt obligataires se mettent à grimper, vous ajusterez la politique commerciale pour compenser. Est-ce que je résume bien les choses si je dis que vous suivez l’évolution du marché et que vous allez tout faire pour protéger l’économie américaine ?

Donald Trump : Je ne pense pas que ça arrivera. Je ne vois pas comment je pourrais revenir dessus, parce que j’ai bien vu ce qui était en train de se passer. Ça fait trente-cinq ou quarante ans que je dis la même chose : j’ai vu ce pays se faire dépouiller par d’autres, et je dis bien “amis comme ennemis”. Et, croyez-moi, nos amis sont dans bien des cas pires que nos ennemis. L’année dernière, on a perdu des milliards de dollars en échanges commerciaux à cause de ce type [Biden]. Et, chaque année, on perd des milliards. Des centaines de milliards, et, maintenant, ce sont même des milliers de milliards [de déficit commercial]. Et j’ai du mal à imaginer qu’un pays qui perd autant d’argent puisse rester viable longtemps.

Et je me suis dit qu’il fallait que quelqu’un y fasse quelque chose. Et, comme vous le savez, j’ai déjà mis en place des droits de douane sur les voitures, de 25 % ; sur l’acier, de 25 % ; sur l’aluminium, de 25 %. J’ai des droits de douane de base de 10 % pour tout le monde, pour chaque pays, et ça va changer. Et, pour que les choses soient bien claires : j’ai beaucoup de négociations sur le feu en ce moment, mais je n’y suis pas tenu. Je le fais parce que je veux voir leur réaction. Mais je suis comme quelqu’un qui a un magasin dont tout le monde veut acheter les produits. Ce magasin, il faut que je le protège. Et c’est moi qui fixe les prix.

Et on va devenir très riches. On va faire beaucoup d’argent. Donc, non, je ne pense pas que ça va m’affecter. Ça vous affecte toujours un petit peu, mais non, je ne crois pas – et on ne se dit certainement pas que ça tombera en dessous d’un certain seuil –, d’ailleurs, je ne sais pas où on en est aujourd’hui. Qu’est-ce que ça dit, la Bourse ?

Jeffrey Goldberg : Je n’ai pas le nez dessus en permanence.

Donald Trump : Quelqu’un sait ? Voyons voir. Donnez-moi juste les bonnes nouvelles – si elles sont bonnes.

Karoline Leavitt : Ça grimpe. Tous les voyants sont au vert.

Donald Trump : Ça monte de combien ?

Karoline Leavitt : Le Dow Jones a pris 419 points. Le Nasdaq monte…

Donald Trump : C’est une période de transition. Et pas une petite. Je remets les pendules à l’heure. Je remets les compteurs à zéro. Enfin, pas à zéro. C’est entre 1850 ou plutôt 1870 et 1913 que notre pays a connu son apogée. Et tout ça grâce aux droits de douane. Et puis, un jour, un petit génie a dit : “On va taxer les gens plutôt que de taxer les pays étrangers.”

Ashley Parker : Un autre axe de notre article : vous confiez être un adepte de la pensée positive. Si l’on met de côté l’élection de 2020, qu’avez-vous appris concernant votre capacité à faire advenir la réalité ou à façonner le monde qui vous entoure ? Pouvez-vous nous expliquer comment ça marche ?

Donald Trump : Eh bien, je pense que la plupart des républicains pensent que j’ai gagné en 2020. Je ne crois pas que ce soit vraiment ce que j’ai dit. Je pense qu’ils ont des yeux et un cerveau. Ce sont des gens très intelligents, en fait.

Ashley Parker : Sans parler de l’élection, comment parvenez-vous à faire ça ? On a parfois l’impression que vous êtes capable de façonner la réalité, de faire advenir les choses rien qu’en les disant.

Donald Trump : Eh bien, j’aimerais vous dire que c’est la réalité. Vous savez, je ne la façonne pas. Mais peut-être que vous pourriez aborder un autre sujet, parce que je façonne sans doute certaines choses, mais ça, je ne l’ai pas imaginé ; je pense que c’est la réalité. J’ai tout un tas de gens formidables qui adorent ce que je dis.

On veut en finir avec la criminalité. On ne veut pas que les gens se fassent agresser, tuer, gifler, passer à tabac. On ne veut pas être des pigeons sur le plan commercial, ni sur les autres d’ailleurs. On veut garder une fiscalité contenue. On veut pouvoir avoir une belle vie. Et on n’avait pas une belle vie ces quatre dernières années. Les gens étaient vraiment, vraiment malheureux. Ça s’est vu à l’élection. C’est difficile de remporter les sept swing states. Et je les ai gagnés haut la main. Tous les sept.

Je pense simplement que je dis ce que je pense.

Donald Trump : Je dis aussi des choses qui relèvent du bon sens, mais ce n’est pas parce qu’elles relèvent du bon sens que je les dis. Je les dis parce que j’y crois. Il s’avère simplement que c’est du bon sens. Quand j’entends… j’ai vu ce matin un membre du Congrès, je ne sais même pas qui c’est, faire des pieds et des mains pour que les hommes [transgenres] aient le droit de jouer dans les équipes féminines. Alors que je crois que c’est 95 % [des gens qui sont contre] – vous savez, on dit que c’est du 80-20 ; moi, je crois plutôt que c’est 95 %. Mais je ne me bats pas tellement contre ça. Je n’en parle même plus, maintenant. Je garde ce genre de sujet pour une élection, parce que je n’ai pas envie d’essayer de les en dissuader. Quand je vois cette membre du Congrès, [Jasmine] Crockett [démocrate du Texas élue à la Chambre des représentants depuis 2023], tellement pitoyable, et qu’ils disent qu’elle est le visage du parti, je me dis que, s’ils n’ont que ça à proposer, ils n’ont aucune chance.

Je pense que les démocrates ont perdu confiance, littéralement. Je n’ai pas l’impression qu’ils savent ce qu’ils font. Je crois qu’ils n’ont pas de chef. Vous savez, si vous me posez la question aujourd’hui – et j’en connais un rayon sur le Parti démocrate, on est d’accord ? – eh bien, je suis incapable de vous dire qui est leur chef. Je ne vois personne se profiler à l’horizon. D’après vous, ce serait qui ?

Ashley Parker : Oui, qui ?

Donald Trump : Moi, je ne vois personne à l’horizon. Maintenant, il y a peut-être quelqu’un…

Michael Scherer : Quand on s’est parlé la première fois, au téléphone, vous nous avez dit que vous preniez beaucoup de plaisir [à présider le pays]. C’était il y a un mois et demi. Entre-temps, est-ce qu’il y a des choses qui se sont révélées plus difficiles que prévu ?

Donald Trump : C’est beaucoup moins dur que la dernière fois. Si vous regardez l’investiture, vous n’avez revu personne parmi les gens que j’avais la première fois – et vous ne les reverrez pas à la troisième.

Michael Scherer : Vous appellent-ils pour se plaindre de leur portefeuille, de leur patrimoine, de la Bourse qui baisse ?

Donald Trump : Non, personne. Personne n’a appelé. La plupart des gens me disent que je fais ce qu’il faut. Ils font ce qu’il faut. Ça ne pouvait pas durer, ce qui était en train de se passer dans ce pays. On laissait les autres nous tondre la laine sur le dos.

Je pense que je rends un grand service à ce pays. Ce serait plus facile pour moi de me tourner les pouces. Je pourrais avoir une présidence en pente douce. Je poserais juste mes affaires, je ne toucherais à rien, je ne m’occuperais pas des droits de douane. Je ne trouve pas ça dur. Je ne trouve pas ça dur à vendre [les droits de douane]. Tout ce qu’on a à dire, c’est : “On a perdu des milliers de milliards de dollars sur le commerce l’année dernière.” Pendant que d’autres pays ont engrangé des milliards. Vous savez, les Chinois ont fait 1 500 milliards de dollars [1 300 milliards d’euros] grâce au commerce. Ils ont mis sur pied la plus grande armée que vous ayez jamais vue avec cet argent. Et, cet argent, c’est notre argent.

Le président ukrainien Volodymyr Zelensky face au président américain Donald Trump lors de l’échange particulièrement houleux qui a eu lieu le 28 février 2025 à la Maison Blanche.
Le président ukrainien Volodymyr Zelensky face au président américain Donald Trump lors de l’échange particulièrement houleux qui a eu lieu le 28 février 2025 à la Maison Blanche. PHOTO Doug Mills/The New York Times

Jeffrey Goldberg : Pour revenir à la Russie, vous venez d’écrire aujourd’hui sur Truth Social : “Vladimir, ARRÊTE !”

Donald Trump : Oui, c’est vrai.

Jeffrey Goldberg : Il ne me fait pas l’effet de quelqu’un qui va dire : “Ah, d’accord, Trump me dit d’arrêter, donc je vais arrêter.”

Donald Trump : Vous pourriez avoir des surprises.

Jeffrey Goldberg : Si c’est le cas, je reviendrai vous dire : “Vous aviez raison, j’avais tort.” Mais je ne pense pas me tromper. Ce n’est pas le genre de personne qui va renoncer à son ambition de s’emparer de toute l’Ukraine. Ma question, c’est : si son armée progresse, s’il remporte d’autres succès militaires…

Donald Trump : Ce qui est possible.

Jeffrey Goldberg : … en bombardant des immeubles…

Donald Trump : Bien sûr.

Jeffrey Goldberg : Y a-t-il un cas de figure dans lequel vous interviendriez, non pas en envoyant des hommes, mais en livrant plus d’armes, en apportant un soutien total à l’Ukraine, pour l’aider à conserver son intégrité territoriale ?

Donald Trump : Il existe beaucoup de types d’armes. Ce ne sont pas forcément des vraies armes avec des munitions. Ça peut être des sanctions. Ça peut être l’arme bancaire, par exemple. Ça peut être beaucoup d’armes différentes.

Jeffrey Goldberg : Que pourrait faire Poutine qui vous amènerait à dire “Vous savez quoi ? Je suis du côté de Zelensky, maintenant” ?

Donald Trump : Pas nécessairement du côté de Zelensky, mais du côté de l’Ukraine, oui. J’ai eu du mal avec Zelensky. Vous vous souvenez, quand il était assis très exactement dans ce fauteuil, et qu’il n’arrivait pas à comprendre…

Jeffrey Goldberg : Ça fait partie des scènes les plus étranges que j’ai vues dans le Bureau ovale.

Donald Trump : Tout ce qu’il avait à faire, c’était de se taire, vous savez ? Il a exposé son point de vue. Mais au lieu de dire “D’accord” quand j’ai dit qu’on allait essayer de résoudre le problème, qu’on allait essayer d’aider [l’Ukraine], il a réagi en disant : “Non, non, on a aussi besoin de sécurité.” J’ai répondu : “de sécurité ?”

Jeffrey Goldberg : N’est-il pas censé plaider la cause de son pays ?

Donald Trump : Oui, bien sûr, mais mettons d’abord un terme à cette guerre. Ce que j’ai dit, c’est : “Je ne sais même pas si on va pouvoir y mettre fin.” Vous savez, il a parlé de sécurité après. Après. Et puis il a dit quelque chose du genre qu’ils se battaient seuls, qu’ils n’avaient reçu aucune aide. J’ai répondu : “On vous a quand même donné 350 milliards de dollars [310 milliards d’euros], beaucoup plus que l’Europe d’ailleurs”, ce qui est une autre chose qui me dérange.

Nous verrons bien ce qui se passe dans la séquence suivante. Là, on joue nos dernières cartes. Et, encore une fois, c’est la guerre de Biden. Je ne veux pas qu’on me la mette sur le dos. C’est une guerre horrible. Qui n’aurait jamais dû avoir lieu. [Avec moi,] elle n’aurait jamais eu lieu, aussi sûr que vous êtes assis dans ce fauteuil.

Jeffrey Goldberg : Cette scène avec le président Zelensky ici même, pensez-vous qu’elle ait pu faire peur à Taïwan, à la Corée du Sud ou au Japon ?

Donald Trump : Non. Non.

Jeffrey Goldberg : Ils ne se demandent pas : “C’est comme ça qu’il traite ses alliés ?”

Donald Trump : Écoutez. On a été traités très durement par les autres. On est allés en Corée du Sud et on s’est occupés d’eux à cause de la guerre. On s’est occupés d’eux, et d’ailleurs on n’a jamais arrêté. Vous savez, on a 42 000 hommes en Corée du Sud. Ça nous coûte une fortune. J’avais obtenu qu’ils paient 3 milliards de dollars [2,6 milliards d’euros], et Biden est revenu là-dessus. Je ne sais pas pourquoi. Ils sont devenus très riches. Ils ont pris le transport maritime, ils ont pris nos voitures. Vous savez, ils nous ont pris beaucoup de business, beaucoup de technologie.

Il ne faut pas s’apitoyer sur ces pays. Ces pays ont fait beaucoup d’argent sur notre dos, beaucoup. Moi, je veux protéger ce pays. Je veux m’assurer que ce soit encore un grand pays dans cent ans. C’est une époque cruciale que l’on vit. On vit aujourd’hui une époque très importante, Jeffrey. C’est une des époques les plus importantes de l’histoire de notre pays que l’on vit, là, en ce moment.

Courrier International

Courrier International

Nouvelles similaires

Toutes les actualités
Animated ArrowAnimated ArrowAnimated Arrow